lundi 5 mars 2012

Cinq Pièces Faciles : master piece !


En salles : J’ai une dette envers Emmanuel Carrère. C’est à la lecture d’un très long papier qu’il avait écrit dans Télérama ou Positif en 1986 que j’ai découvert The King of Marvin Gardens (1972). L’atmosphère zombiesque existentielle – les planches d’Atlantic City battues par le vent en plein hiver - des acteurs en plein spleen, totalement investis dans leurs personnages – Jack Nicholson en grand frère minéral et hiératique, Bruce Dern obsédé par de chimériques conquêtes, Karen Black en demande d’amour – le tout sous la caméra délicate, attentionnée, et empathique de Bob Rafelson. 

Bref, le genre de film qui 1/ donne envie de découvrir toute l’œuvre du cinéaste et de la partager avec tous vos potes ; 2/ d’embrasser le genre humain ; 3/ vous place dans une position débitrice éternelle à celui qui vous l’a conseillé – en l’occurrence Emmanuel Carrère, devenu depuis l’écrivain que l’on sait.


Fleuron du Nouvel Hollywood

Puis vint Cinq Pièces Faciles (qui ressort actuellement en copies neuves), tourné 2 ans avant. Fleuron du Nouvel Hollywood – mêmes chef op, acteurs et prod qu’Easy Rider - , c’est surtout l’occasion de découvrir l’univers d’un cinéaste américain, bourlingueur invétéré, curieux des autres, et totalement atypique. Et de re-découvrir Jack Nicholson génial dans son plus beau rôle : celui d’un ouvrier pétrolier, promis à une brillante carrière de pianiste classique (d’où le titre sous influence de Bach), en rupture de ban familial, culturel et professionnel, devenu peu à peu étranger à lui-même. Et qui à l’occasion de l’agonie de son père, va tenter de renouer les fils.

Entre Kerouac et Antonioni

Formidable documentaire sur l’Americana - champs de derricks infinis, motels de passage, autoroutes congestionnées, grande demeure bourgeoise – road movie à l’envers qui commence par le Texas pétrolifère et redneck pour remonter vers les contrées boisées whasp de l’Etat de Washington, minées par l’automne et la maladie, Five Easy Pieces évoque aussi bien que les grands cinéastes existentiels comme Antonioni ou Monte Hellman que les aventures picaresques et bourlinguantes d’un Jack Kerouac ou les plongées dans les ressorts de l’âme d’un Bergman ou d’un Cassavetes.

10 films en 40 ans

Five Easy Pieces constitue à la fois le reflet le plus fidèle de l’esprit d’une époque, et le point culminant d’un cinéaste rare et précieux. A peine une dizaine de films en 40 ans, dont un très chaud remake du Facteur sonne toujours deux fois (1981) avec son complice Jack et la torride Jessica Lange, un polar noir et vénéneux, La Veuve noire en 1986, et une fresque épique et désabusée Aux sources du Nil en 1990. Mais qui à l’instar de son héros privilégie sa vie personnelle au détriment de sa carrière. Ne déclarait-il pas au début des années 70 : "Je m’estimerai heureux si je dirige 10 films dans ma vie". Mission accomplie, avec classe !

Travis Bickle

 

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