mercredi 20 novembre 2013

Quai d’Orsay : bon film, camarade !


L'équipe de Cineblogywood accueille en son sein une nouvelle recrue : Anouk. Avec un pseudo pareil, nul doute qu'elle saura se faire aimer. Et mine de rien, elle contribue à féminiser nos effectifs de brutes épaisses aux mains velues. Il y a désormais parité à la rédac - ce qui sera plus pratique en cas de bal de fin d'année.

En salles : Qui a dit que notre cerveau tourne en boucle passé l’âge de la retraite ? A 72 ans, Bertrand Tavernier innove en réalisant sa première comédie, Quai d’Orsay. En 2013, pas de robes à crinolines ni de grands discours, mais une comédie politique hilarante et fédératrice, pour tous les Français qui savent critiquer leur pays avec humour, comme tout bon citoyen qui se respecte ! Alors, pour reprendre Thierry Lhermitte en ministre de droite, "Bonjour camarade !". 


"Jusque là aucun thème ne m’avait donné envie de tourner une comédie", déclare en novembre le réalisateur à Metronews. C’est avec la découverte de la BD à succès Quai d’Orsay publiée en 2010 chez Dargaud, que commence une collaboration avec l’un des auteurs, le dessinateur Christophe Blain. La bande dessinée est scénarisée sous pseudonyme par un certain Abel Lanzac et directement inspirée de sa propre expérience au service de Dominique de Villepin. Mais étant toujours au cœur de la diplomatie française, l’auteur préfère rester dans l’ombre de l’anonymat : un véritable feuilleton ! Le film est donc co-écrit par Tavernier et Blain, ce qui permet au réalisateur de conserver l’atmosphère de la BD, les dialogues, le rythme et l’esthétique, tout en prenant quelques libertés.

Un arsenal effervescent

Et un et deux, et un et deux, toujours plus rapide, Arthur Vlaminck tente en vain de suivre le pas hyperactif des conseillers du Quai d’Orsay. Individu portant des chaussures à bout carré dans un monde de pointures italiennes, le jeune Arthur est embauché par le Ministre des Affaires Etrangères, Alexandre Taillard de Worms, pour écrire ses discours. "Je vous charge du langage", lui assène pompeusement un Thierry Lhermitte qui campe à merveille une caricature grinçante de Dominique de Villepin.

Dès lors, le spectateur est entraîné par un rythme qui ne connaît pas de répit, des dialogues du tac au tac mis en valeur par un montage presque en accéléré, afin de rendre compte de l’effervescence du monde diplomatique. C’est en effet un film à la mise en scène très interventionniste : le grand angle imposant écrasant ses personnages dans des décors majestueux, des travellings à n’en plus finir dans les immenses couloirs, un montage haletant (même parfois un peu trop). Le film donne néanmoins la part belle aux acteurs, de qui on attend d’autant plus d’énergie pour rééquilibrer tout cet arsenal de mise en scène comique.

Du bankable mais un bémol

Un casting impressionnant (Thierry Lhermitte, Niels Arestrup, Raphaël Personnaz), qui pourrait présenter trop d’acteurs "bankable" pour être gage de qualité, mais il n’en est rien. Au Quai d’Orsay, chaque acteur compose à merveille en fonction de sa position dans le gouvernement : Thierry Lhermitte aux répliques acides, presque caricatural de lui-même ; Niels Arestrup tout en finesse en chef de cabinet, qui module différentes tonalités d’un calme imperturbable même en cas de crise majeure au "Louzdékistan". Raphael Personnaz, perdu et dépassé par les évènements, mais qui apprend vite, au fur et à mesure de ce récit initiatique. Et pour cause, le comédien aurait été jusqu’à vivre la vie de diplomate au siège de l’ONU, pendant la durée du tournage à New-York. 

Le bémol est sûrement la performance d’Anaïs Demoustier, jeune actrice dévoilée en 2008 par La Belle Personne de Christophe Honoré. Elle interprète ici la petite amie d’Arthur avec une autodérision qui dessine beaucoup trop les contours de la comédie, et rend son personnage prévisible et attendu.

Aberration et affection

Mais Quai d’Orsay, c’est avant tout l’histoire d’un ministre incroyablement hyperactif, et apparemment inutile… Le morceau de bravoure du film est effectivement le personnage du ministre, qui rythme de coups de gueule et d’allées et venues fracassantes les journées de ses conseillers subjugués par les crises mondiales. Animé par des préoccupations des plus futiles (du jogging au monologue sur les stabilos « qui pluchent »), il ponctue chacune de ses réflexions creuses par des citations d’Héraclite de plus en plus douteuses. Bel homme, il est avant tout un objet médiatique. Le sérieux imperturbable avec lequel Thierry Lhermitte assène toutes ces réflexions vides rend le personnage d’autant plus comique, qu’il n’est présenté que comme un pantin, une image laissée aux médias afin de laisser les "vrais" politiques faire leur travail dans les sombres bureaux.

Si l’on comprend bien vite de quel gouvernement il s’agit, la critique principale du film est bien loin du jugement de valeur : c’est un film réalisé par un Français, sur les Français, vus par des Français. Un film qui présente les aberrations d’un système qui refuse d’intégrer Internet au ministère, et qui se dote d’un crypteur informatique pour la réception de télégrammes inexistants. De l’administration aux technocrates de l’ENA, en passant par le ministre lui-même, personne n’est épargné par ce cataclysme satirique mais presque affectueux, où chacun s’y retrouve. Ce bon état d’esprit français, entre plainte permanente et autodérision se retrouve d’ailleurs tout à fait dans le film. Comme on dit chez nous, se moquer de tout le monde c’est finalement se moquer de personne, et le film reste léger tout en réglant le compte de nombreuses institutions. Tavernier souffle donc avec humour sur quelques dossiers, sans pour autant faire de nuages de poussière.

Malgré tous mes efforts, je n’arriverai pas à faire de cet article le "vol d’oiseau littéraire" demandé par le ministre à Arthur, il n’y a donc qu’une solution : courrez en salles camarades !

Anouk

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