mercredi 22 janvier 2014

Robert Redford (1/2) : timide, détraqué, boudé mais révélé !


Artistes : C'est l'injustice la plus flagrante des Oscars 2014 : Robert Redford ne figure pas parmi la liste des prétendants au titre de meilleur acteur. Et ce, malgré son immense prestation dans All is lost. Pour les moins de 25 ans, le nom de cet acteur ne doit pratiquement rien évoquer. Car depuis Spy Game (2001), il faut bien reconnaître que la carrière d'acteur et de réalisateur de la star des années 70 s'était égarée. Entre panouilles pseudo-romantiques - Une vie inachevée -, et pamphlets politiques verbeux à la papa – Lions et Agneaux – celui qui incarnait à lui seul l'engagement citoyen (écologiste et libéral) à Hollywood avait perdu de sa superbe.


Là, avec All is lost, il remet tout sur le tapis : constamment présent à l'écran, seul face aux éléments, il sculpte enfin le rôle qui manquait à sa carrière pour que celle-ci parle aux générations actuelles. Alors, certes, son côté vieux beau peut parfois agacer. Mais son engagement physique, sa volonté de ne pas tricher avec son âge font le reste. On doute avec lui, on rage avec lui, on espère avec lui. Du très grand art. Mais au fait, qui est Robert Redford ? Acteur emblématique des années 70, il devient sur le tard, comme son comparse Paul Newman, réalisateur, tout en s'engageant d'un point de vue politique, économique et cinématographique. Que faut-il donc retenir de la carrière d'une des légendes du cinéma américain ? Première partie de notre décryptage en deux articles.

Playboy, né avec une cuiller d'argent dans la bouche, beau gosse, Américain jusqu'au bout des dents ? Il va falloir réviser son jugement, car c'est tout l'inverse qui domine dans sa biographie. Né en Californie le 18 août 1937, père comptable, mère au foyer, Robert Redford fait impression dans le baseball et le football américain, préfère la rue au banc des écoles, l'indépendance aux contraintes du règlement, qu'il soit universitaire ou sportif. D'un coup d'un seul, il lâche ses études de baseball pour la peinture. Et décide de faire un tour d'Europe, précédé de petits jobs dans le pétrole, le ramassage d'ordures ou la manutention dans les grandes surfaces.

Timide, maladroit, il se trouve... moche et inadapté social. Bref, il se cherche ! Et entreprend donc en 1956 un périple en Europe, qui le mène de Londres à Florence, en passant par Paris. Vie de bohème marquée par la solitude. De retour aux Etats-Unis, il s'inscrit dans une école de décoration à New York, y rencontre sa première épouse en 1958 – dont il divorcera en 1985 – puis se lance comme art director dans une agence de pub... Son idole à l'époque ? Henry Miller, l'auteur sulfureux de Sexus. Bref, on est donc très loin de l'image un peu lisse que lui auront forgé ses rôles dans Gatsby ou de Out of Africa.

Redford commence par le théâtre ! Parallèlement à ses études, un enseignant lui suggère de s'inscrire à une école d'art dramatique... ce qu'il fait en rechignant, mais il le fait quand même ! Donc, Redford commence par le théâtre – chose à peu près inimaginable vu d'ici. Il y fait au passage une rencontre capitale avec un autre enseignant : Sydney Pollack. En 1963, il triomphe à Broadway  dans une comédie de Neil Simon, Pieds nus dans le parc. Un peu comme un Claude Rich ou un Jean-Claude Brialy !

Ses premiers rôles ? Des détraqués ou des tueurs. Et c'est à la télévision qu'il les doit ! Alors que la télévision est en plein essor, il participe à de très nombreuses séries TV et dramatiques TV, de Twilight Zone à Alfred Hitchcock présente, en passant par des adaptations TV signées Sidney Lumet. Mais là aussi, à rebours de ce qu'on peut imaginer : il y est souvent distribué en détraqué sexuel, ou en tueur psychopathe. Phénomène tellement marquant qu'alors qu'on lui propose pour sa première apparition au cinéma le rôle d'un soldat psychopathe, il y renonce au profit d'un second rôle, celui d'un soldat idéaliste : "Il représentait un défi (…). Le personnage était si neutre et si doux que je voulais voir ce que je pouvais en faire". Un choix dans la lignée des personnages qui feront ses succès ultérieurs. Et à la source de bien de malentendus... Ah oui, le film : il s'agit de War Hunt, un film de guerre quasiment inédit en France sur la guerre de Corée, proche des Nus et des Morts, de Raoul Walsh. Il faut attendre 1965 pour voir Robert Redford débarquer en France au cinéma, dans une sorte de Grande vadrouille germano-américaine, aux côtés d'...Alec Guinness !

Trois cinéastes d'envergure pour trois films majeurs, injustement boudés par le public. Robert Redford enchaîne à la suite avec trois réalisateurs majeurs : Robert Mulligan, pour Inside Daisy Clover, avec Nathalie Wood, sur les mirages de l'âge d'or d'Hollywood, où Redford incarne déjà un rôle fitzgeraldien ; Arthur Penn, pour La Poursuite impitoyable, qui rassemble un casting en or massif – à ses côtés, rien que Marlon Brando, Jane Fonda, Robert Duvall, Angie Dickinson, James Fox ! - pour une chronique poisseuse sur le racisme et la veulerie dans une petite bourgade du Mississippi ; enfin, Sydney Pollack, pour Propriété Interdite, adaptation d'une oeuvre de Tenessee Williams, avec Nathalie Wood. Trois bides commerciaux qui le font douter de sa destinée. Doutes qui s'approfondissent en 1966 avec Willie Boy, western qui démythifie la conquête de l'Ouest filmé par Abraham Polonsky et qui reste à ce jour l'un des films les plus virulents sur le sujet, ne trouve pas son public. Autant dire que la carrière de Redford est alors en panne.

George Roy Hill. Qui ça ? Un nom bien oublié à présent, alors qu'il était l'un des plus habiles faiseurs de Hollywood. Il croise à trois reprises le chemin de Redford – dont deux vont contribuer à statufier l'acteur : séducteur, malin, charismatique, beau gosse. Redford, dans sa splendeur ! Ces deux films ? Butch Cassidy et le Kid (1969), d'une part, L'Arnaque (1974), d'autre part. Deux occasions pour Redford de donner la réplique à son aîné d'une dizaine d'années, Paul Newman, pour des duos d'anthologie. Certes, ces deux films ne font pas avancer le schmilblick, mais ils appartiennent au patrimoine : succès colossaux, scénario malin, intrigues menées de main de maître, musique d'anthologie, complicité des acteurs. De la magie, du glamour, du succès ! A ce duo d'anthologie succède un troisième film en 1976, La Kermesse des Aigles, basé sur l'histoire de l'as de l'aviation Waldo Pepper, moins réussi, et "seulement" porté par Redford, sans son ami et alter ego Newman. Echec commercial et critique.

Sydney Pollack. Son nom reste indissociablement lié à celui du cinéaste : ils se rencontrent dès les premiers cours d'art dramatique de Redford à New York. Et tournent sept films ensemble : Propriété Interdite (1966), Jeremiah Johnson (1972), Nos plus belles années (1973), Les 3 jours du Condor (1975), Le Cavalier électrique (1979), Out of Africa (1986), Havana (1991). Plus ou moins réussis – j'avoue un gros faible pour le si vilipendé Havana – ces films, fruits d'une belle complicité, sont tous empreints de la volonté de perpétuer un âge d'or hollywoodien, glamour, romantique, héroïque, idyllique, ployant sous les Oscars, ce qui ne les interdit pas d'ausculter les impasses du rêve américain. Peut-être mainstream, narrativement peu sophistiqués, ils conservent la force des classiques et se revoient tous avec beaucoup de plaisir. De quoi entrer au panthéon du cinéma.

Découvrez la deuxième partie de l'article.

Travis Bickle

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