mercredi 5 mars 2014

Only Lovers Left Alive : Jim Jarmusch manque de mordant


En salles : Après la récente invasion des visages pâles aux longues dents dans la littérature jeunesse, puis sur le grand et le petit écran, Jim Jarmusch propose avec Only Lovers Left Alive une illustration rock’n’roll et romantique de l’éternel mythe du vampire.
 
En mettant en scène deux amants maudits incarnés par Tilda Swinton et Tom Hiddleston, Jarmusch réalise un film fantasmagorique étonnamment terre-à-terre. Adam et Eve sont mariés depuis quelques centaines d’années, mais elle vit à Tanger et lui à Detroit. Un séjour chez lui sera l’occasion pour elle de découvrir le monde confiné de son mari, nostalgique et asocial. Quelques années après son célèbre Dead Man (1995), Jim Jarmusch réinvestit différemment le thème du voyage existentiel… avec plus ou moins de succès.
 
Dracula déchu
 
Régnant autrefois sur les terres de Pennsylvanie, Comte Dracula répandait la terreur auprès des jeunes femmes, au mépris de toute loi humaine. Désormais, si le vampire gagne en sensualité, il se cache du règne humain, condamné à errer auprès des marginaux, ou à se nourrir de sauce tomate. De quoi faire pâlir Bela Lugosi ! Dans Only lovers left alive, Adam soudoie un chirurgien et, héroïque, ramène son butin bien mérité sous forme de bouteille en métal chromé.
 
Ancré dans notre culture moderne, le vampire de Jarmusch s’est définitivement fait happé par  les mailles de notre société : craignant la police, tolérant envers l’homme, il se dissimule derrière des lunettes de soleil à la mode, autant que faire se peut. Teint d’albâtre, cheveux d’une blondeur glaçante, il ne passe cependant pas inaperçu, mais ne convie le surnaturel que d’une manière très consensuelle. Cuir, lunettes noires, les traits tirés, Tilda Swinton (Orlando, Le Monde de Narnia, The Snowpiercer) et Tom Hiddleston (The Avengers, Thor) ressemblent davantage à la famille d’Iggy Pop qu’à des mythes intemporels. Véritables figures du romantisme, ce sont des êtres éternellement nostalgiques, tournés vers un âge d’or désormais révolu de l’humanité.
 
A l’image de ses personnages, Jarmusch signe un film froid et nostalgique, où esthétique et fond idéologique se côtoient sans profondeur, ni subtilité. Il est difficile de savoir ce qui manque au film : la mise en scène est excellente, le couple d’amants tout à fait crédibles, la lumière et le cadre forment une esthétique homogène et efficace, à défaut d’être originale. C’est le scénario qui laisse à désirer, lançant plusieurs pistes qui ne sont jamais suivies jusqu’au bout.
 
L’interminable spleen d’un immortel
 
A l’image d’Adam, le vampire nostalgique, dépressif et suicidaire, le film ne cesse de se court-circuiter, abandonnant une à une toutes les possibilités qui s’offre à lui, comme par exemple la visite de la petite sœur d’Eve (incarnée par Mia Wasikowska - Alice au Pays des Merveilles, Stoker). Taciturne et asocial, le personnage d’Adam insuffle une certaine intimité au film, dont la plupart des scènes se déroulent en huis-clos, dans un vieux manoir. A côté de sa lumineuse compagne, toute de blanc vêtue, Adam réussit le tour de force d’incarner plusieurs stéréotypes à la fois : le rocker sur le retour, le dépressif asocial et monsieur-je-sais-tout prévoyant toutes les catastrophes humaines possibles et imaginables. Malgré ses continuelles assertions sur la bêtise et la naïveté humaine, il manque de profondeur et de subtilité, et ralentit le rythme du film qui s’appesantit sur lui.
Personnage lumineux et positif, Eve apparaît alors comme le véritable centre de gravité du film, mais trop peu exploité. Incarnée avec brio par Tilda Swinton, bouleversante de finesse et d’étrangeté savamment composée, elle ne réussit pas à insuffler un peu de vie dans cet univers nocturne, et trop volontairement confiné.
 
Adam et Eve : une métaphore des plus rares
 
De la vie ? Voilà justement le centre du problème existentiel de ces deux amants. Revenus de tout, disposant du temps à n’en plus pouvoir, ils dardent leurs mornes regards sur la vie éclatante qui se déroule sous leurs yeux. Tolérants envers l’homme, ils le méprisent cependant avec une condescendance revendiquée. En les qualifiant de "snobs", la petite sœur d’Eve soulève une partie de leur personnalité, mais omet le plus patent : ils sont, tout simplement. Adam et Eve, premiers et derniers êtres supérieurs, planant au-dessus de la stratosphère en observant leurs "zombies" évoluer avec pitié. Ennuyés des erreurs et de la stupidité de la race humaine, ils observent ses faux pas avec lassitude. "La guerre de l’eau a-t-elle déjà commencée ?", "Non, ils pensent encore que le pétrole est plus important". Avec le recul de plusieurs milliers d’années d’existence, ils semblent avoir une vision plus juste du monde que ses immatures "zombies", aveugles aux bouleversements planétaires en cours.
 
Etre de sensations et de réflexions, le vampire incarne une fois de plus nos fantasmes les plus fous. Ainsi, celui du XXIe siècle aurait la réponse aux différentes crises mondiales qui s’installent peu à peu : épuisement des ressources, toxicité des produits, réchauffement planétaire. L’idée est intéressante, et révélatrice d’un certain état d’esprit ambiant, si seulement Jarmusch l’avait introduit avec un tant soit peu de finesse. Récurrents, les conseils et les soupirs des deux vampires deviennent lassants, et leur orgueil condescendant. Derrière cette esthétique séduisante, le réalisateur dresse-t-il le portrait apocalyptique de deux immortels, ou tente-t-il d’asseoir une forme de supériorité de l’art sur la réalité qui, seul, tiède et vibrant, pourrait comprendre les problèmes de notre pauvre race ?
 
Anouk
 

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