mercredi 10 septembre 2014

Gemma Bovery : beaucoup de charme et quelques regrets


En salles : Rassurez-vous ! Inutile d’avoir lu Emma Bovary en long en large et en travers pour apprécier Gemma Bovery. Fabrice Luchini, narrateur plus que présent, explique pédagogiquement les détails utiles du roman, ainsi que la vie de son auteur.
 
Editeur parisien devenu boulanger de campagne, Martin Joubert a la parole facile et l’imagination effrénée, qui se réveille quand de nouveaux arrivants emménagent dans le village. Deux Anglais du nom de Bovery, Gemma et Charles. La coïncidence est trop belle.  L’âme littéraire de Martin s’exalte devant la ressemblance avec Emma et Charles Bovary, personnages du célèbre chef-d’œuvre de Flaubert, écrit et situé dans cette même campagne normande. Commence dés lors une comédie légère sur l’imagination et l’inatteignable. Conscient de l’impossibilité de son désir, Martin fantasme la vie de Gemma en établissant des liens constants avec Emma. Et comme la vie imite l’art, il finit maladroitement par jouer le rôle du metteur en scène.

"Madame Bovary, c’est moi"

Fidèle à la célèbre citation de Flaubert, le film aborde, cette fois avec humour, la projection de soi-même sur autrui, ainsi que les principaux thèmes de l’œuvre. Entre fantasme, désir, et manipulation, on s’amuse à regarder Martin Joubert, et à s’interroger. Spectateur impuissant ou metteur en scène de l’histoire ? On regrette cependant que ces thèmes, si intéressants au cinéma, l’art du point de vue par excellence, ne soient pas traités avec plus de finesse et d’inventivité. Ainsi, la focalisation n’est pas claire tout au long du film, ce qui peut être une force : est-ce le point de vue de Gemma ou les fantasmes de Martin ? Que se passe-t-il "réellement" ? 
 
Au lieu de jouer sur cette ambiguïté, la mise en scène perd en finesse en gagnant en objectivité. Du début à la fin, tout est explicité : tant le désir débordant de Martin que le rôle de metteur en scène de la vie de Gemma qu’il s’attribue peu à peu et finit par véritablement endosser. Dommage, il aurait été intéressant d’approfondir davantage cette réflexion sur les ficelles de la narration. Mais à vouloir jouer sur les deux tableaux, la réalisatrice est toujours à cheval entre la comédie et la réflexion, sans vraiment réussir à allier les deux.
 
L’autre, c’est moi

Pourtant tout commençait très bien. Dès le début du film, l’humour s’organise autour d’un décalage absurde bien établi. Celui entre le fantasme et la réalité, le romanesque et la contingence, Fabrice Luchini et Martin Joubert. La dualité du personnage est presque grotesque, mais bien choisie : même au fond de la campagne la plus reculée, personne ne confond Lucchini avec un boulanger. Ce décalage est omniprésent tout au long du film, qui balance sans cesse entre l’imagination du boulanger et la réalité de Gemma, et donne lieu à des scènes hilarantes : la première entrée de la jeune femme de la boulangerie où elle sent tour à tour tous les pains avec un air d’extase sensuel, devant les yeux fascinés du quinquagénaire.

L’élégance du boulanger

Ressort comique au début, la présence du narrateur se fait de plus en plus pesante, jusqu’à atteindre une certaine lourdeur. Les ponts qu’il établit entre Gemma et Emma, son air de fascination perdent en finesse quand ils arrivent quasiment au statut de running gag. La trouvaille du fantasme littéraire se tarit également quand il se transforme en pur désir sexuel. Le point culminant de la lourdeur étant peut-être la scène où le visage de Luchini est sans cesse au même niveau que les seins de Gemma, petite pépite d’humour, d’originalité et de finesse.
 
Les retrouvailles constantes avec le narrateur deviennent de plus en plus regrettables, au fur et à mesure que le spectateur se laisse bercer par le personnage envoûtant de Gemma, qui fascine et emporte avec douceur. Un excellent choix de casting par ailleurs, l’actrice Gemma Arterton toujours entre une candeur naturelle et un air mutin bien choisi. Déjà à l’affiche de la précédente adaptation des œuvres de Posy Simmonds, Tamara Drewe (Stephen Frears), elle semble incarner à merveille l’univers poétique et absurde de l’auteur, dans la veine de Woody Allen. Le reste du casting est également bien choisi, tous les personnages sont crédibles, presque en chair et en os. Niels Schneider charmant en châtelain fantasmé, Elsa Zylberstein hilarante en riche snobinarde et Jason Flemyng tout à fait juste en mari outragé.
 
On rigole un coup, soupire quelques fois et lève les yeux au ciel, mais on est charmé. La frustration finale tient sûrement du fait qu’Anne Fontaine est passée à côté d’un très bon film, et ne signe qu’une comédie légère.
 
Anouk
 

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