jeudi 18 septembre 2014

Jane Campion par Jane Campion : la cinéaste se livre


A lire : Dites donc, encore un livre sur Jane Campion ? Encore ? Vous rigolez ! Jane Campion par Jane Campion est la première monographie d'envergure écrite et publiée en français qui est éditée là. Et pas par n'importe qui : Michel Ciment, le pape de Positif, qui a déjà commis des ouvrages-sommes sur Kubrick, Boorman, le cinéma américain, Kazan, Losey, ou Francesco Rosi, s'y colle. C'est dire l'importance de l'objet – son format en témoigne, 224 pages, sa taille et son poids aussi ! Les Anglo-Saxons se sont penchés depuis longtemps sur la carrière de la seule cinéaste à avoir décroché jusque-là une Palme d'Or, pour La Leçon de piano en 1993. Et qui a présidé cette année le jury cannois. Analyse d'un ouvrage en 4 questions.


Pourquoi consacrer maintenant un ouvrage à l'oeuvre de Jane Campion ?
Parce qu'en seulement 8 longs métrages, elle est parvenue à imposer un univers visuel et thématique suffisamment forts et charpentés pour irriguer nos mémoires visuelles. Un exemple ? Ce piano laissé au bord d'un rivage abandonné de la Nouvelle-Zélande ; ou bien cet arbre régénérateur et maléfique sur lequel se clôt Portrait de femme ; ce phare nocturne et phallique de In the cut. Suffisant pour consacrer un ouvrage visuellement somptueux, et riche en entretiens et analyses.

Comment est composé l'ouvrage ?
Chacun des films est analysé avec acuité par Michel Ciment, avant d'être suivi d'entretiens avec la réalisatrice, déjà parus dans Positif. Ce qui témoigne de la richesse d'une relation entamée depuis près de 30 ans entre la cinéaste et le critique. Et de la confiance qui en découle. Se confirme la singularité d'une cinéaste, la singularité d'une ambition qui ne cherche ni compromis ni échappatoire pour imposer son univers. Quitte à se mettre en danger d'un point de vue commercial, comme ce fut le cas au milieu des années 2000, après les échecs successifs au BO de Portrait de femme, Holy Smoke et In the cut.

Beaucoup de thématiques féministes travaillent son œuvre, j'imagine ?
C'est une vision bien réductrice que de réduire son œuvre à un vade-mecum post-féministe ! Si, bien sûr, Jane Campion  place au centre de ses films une protagoniste en quête d'elle-même, en butte aux contraintes sociales, elle demeure l'une des grandes défricheuses du désir féminin, comme tant d'autres cinéastes masculins l'ont été avant elle, Bergman et Antonioni notamment. Et excelle dans la peinture des relations humaines, dans un cadre charnel, familial ou social. Ce qui en fait l'une des plus fines analystes de l'âme humaine. Que sa sensibilité visuelle parvient à hisser au-delà du seul discours. Pour imprimer durablement la rétine du spectateur. Bref, un magnifique ouvrage qui rend grâce à son sujet : en 224 pages richement illustrées, soigneusement mises en pages, on parcourt une oeuvre unique et singulière. Et puis, un texte signé des mains de la réalisatrice vient rappeler avec force sa sensibilité, son humanité, sa compassion. En racontant les événements du 11 septembre 2001, elle évoque son 11 septembre à elle, sa catastrophe la plus intime, la mort de son fils Jasper, âgé de 11 jours. Bouleversant. Et universel.

Donc, un must have ?
Oui. Pour les amateurs de Jane Campion, sans aucun doute. Mais pour tous les cinéphiles également. Car il confirme ce qu'on avait tendance à oublier ces derniers temps : la cinéphilie, ça se construit aussi en fréquentant les ouvrages de cinéma. Surtout quand ils sont rédigés avec autant d'attention et de passion que celui de Michel Ciment, ironiquement édité aux éditions des Cahiers du Cinéma. La hache de guerre serait-elle définitivement enterrée ? Ou bien nécessité a-t-elle fait loi en l'occurrence ? Bref, un très beau cadeau à ranger dans sa bibliothèque, quelque part entre Kubrick, Boorman, Amis américains et De Palma (soit des ouvrages de référence en matière d'analyse, d'entretiens et d'iconographie) – après l'avoir lu et revu tous les films de la cinéaste, of course !
Jane Campion par Jane Campion, par Michel Ciment, éditions Cahiers du Cinéma
Travis Bickle

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