lundi 6 avril 2015

L'Astragale : plus Portrait de Femme que Bonnie and Clyde


En salles (le 8 avril) : On ne pourra pas dire que L'Astragale n’ait pas laissé une empreinte visuelle. Le choix du noir et blanc (que l’on devrait réhabiliter tant il manque cruellement) y est certainement pour beaucoup, le travail sur la lumière aussi.


Et cela commence dès les premières minutes. Pas étonnant en effet que ce plan d’Albertine (Leïla Bekhti) et Julien (Reda Kateb), filant à moto vers leur destin chaotique, ait été choisi pour illustrer l’affiche. Car il est à lui seul une promesse. Celle de voir évoluer à l’écran ce couple charismatique, au fil d’une histoire que l’on espère aussi intense que le roman dont elle est tirée.

Brigitte Sy, accro à son héroïne

Le destin de la réalisatrice Brigitte Sy est intimement lié au milieu carcéral. Pendant des années, elle a tissé un lien avec des hommes et des femmes incarcérés et ainsi documenté leur quotidien. Elle est aussi tombée amoureuse d’un détenu (sujet de son précédent film Les mains libres). Une histoire à l’issue tragique... d’où la résonance toute particulière que le destin d’Albertine Sarrazin trouve en elle et sa volonté d’adapter son roman à l’écran (roman réédité chez Fayard en 2013 et préfacé par la chanteuse Patti Smith elle-même), même si le film n’aborde pas l’épisode carcéral vécu par l’héroïne. Car l’action s’ouvre sur l’évasion d’Albertine, 19 ans en 1957, écrouée deux ans plus tôt avec sa comparse Marie (Esther Garrel) après un braquage qui a mal tourné.

Dans sa fuite, Albertine se brise l’os du pied : l’astragale. Cette mésaventure scelle son destin à celui de Julien (Reda Kateb), repris de justice, qui la récupère en pleine nuit sur la route jusqu’à laquelle elle a réussi à ramper et lui trouve une planque chez une de ses amies à Paris. Ce n’est que le début d’un amour fou, mais surtout d’une longue série de séparations.

Doutes partagés

Il faut bien l’avouer, on n’avait qu’une envie, voir Leïla Bekhti et Reda Kateb ensemble à l’écran, le plus longtemps possible. Et l’on a certes droit à quelques très belles scènes. Mais ce n’est pas ce qui intéresse le plus la réalisatrice.

Or, les errances d’Albertine - qui attend, écrit, espère sans trop savoir ce qu’il advient de Julien et ce qu’il lui dissimule - donnent lieu à des scènes  inégales.  Enfermée dans un quotidien bien sombre, comme les ruelles peu engageantes du Paris qu’elle traverse, alors plongé dans une atmosphère lourde sur fond d’attentats du FLN, Albertine doute, tout comme nous. Entre les passes qu’elle enchaîne avec un détachement certain et les moments où elle esquisse les pages de ce qui deviendra le roman de sa vie, on se perd parfois dans les méandres de la personnalité complexe d’Albertine.

Pourquoi avoir choisi cet épisode précis de sa vie ? Celui de l’attente ? Comme l’explique la réalisatrice Brigitte Sy, Albertine enchaîne cavale, prostitution, solitude comme pour vivre en attendant de retrouver Julien. Mais sous l’effet de cette attente, l’intensité du récit, par moments, se délite.

Il ne faut donc pas s’attendre à un Bonnie and Clyde, mais plutôt à un portrait de cette femme insoumise, quelquefois violente mais profondément éprise, de ses fulgurances et de ses amours homosexuelles (ici avec Marie) sur fond d’époque ultra-conservatrice. Un récit qui interpelle comme le roman, depuis sa sortie.

Un plan, sans doute LE plan du film résume bien ce combat, cette errance... celui d’Albertine disparaissant et réapparaissant littéralement dans les escaliers du vieux Paris en claudiquant, comme elle parvint à franchir une à une les immenses vagues de l’adversité, avant de s’y noyer. Hautement symbolique.

Joanna Wallace


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