mardi 30 juin 2015

Tale of Tales : le conte est bon

 
En salles : Troisième film d'affilée de Matteo Garrone à être présenté en compétition au Festival de Cannes, Le Conte des Contes (Tale of Tales) marque l'entrée du cinéaste italien dans un cinéma de genre – le conte fantastique – avec la vocation manifeste de se rendre visible par le plus grand nombre : casting international, équipe technique prestigieuse, le tout sous la houlette du producteur Jeremy Thomas, qui l'on doit la reconnaissance internationale de Bernardo Bertolucci ou de David Cronenberg. Alors, mission réussie, malgré son absence au palmarès du Festival de Cannes  ?
 

Une puce, un ogre et quelques monstres

Tiré d'un recueil d'une cinquantaine de contes napolitains très populaire en Italie, écrits aux XVIIe siècle par Giambattista Basile, le dernier film de Matteo Garrone emprunte à la tradition du film à sketches italien, en n'en retenant que trois histoires : une reine prête à tout, jusqu'à dévorer le cœur d'un monstre marin, pour enfanter à tout prix ; un roi, insatiable bête de sexe, aux prises avec deux sœurs, extrêmement laides et prématurément vieillies ; un roi, plus intéressé par le destin de sa puce  de compagnie que par le destin de sa fille qu'il offre aux bras d'un horrible ogre. Trois histoires entretissées à la manière du récit originel, encadré par un récit inaugural et final, pour leur donner une unité narrative, à l'instar de son matériau d'origine, ou du Décameron, de Boccace, actuellement sur les écrans adapté par les Taviani qui, sur cent histoires, n'en ont également retenu que trois...

Lisibilité du montage

Première surprise : le montage du film permet de suivre très lisiblement les évolutions de ces trois récits entremêlés. Et nous laisser le temps d'apprivoiser chacun des personnages, hautement caractérisés physiquement et psychologiquement. Je retiendrais la figure de ce roi incarné par Toby Jones, pleutre, totalement métamorphosé au contact de sa bestiole qu'il fait grandir en cachette, jusqu'à lui faire prendre une dimension monstrueuse.

Partis pris esthétiques payants

Deuxième surprise : les effets spéciaux et le design du film. En faisant appel à Peter Suschitzky, le collaborateur habituel de David Cronenberg, Matteo Garrone a eu la main heureuse. Car la texture des bestioles, l'allure physique de l'ogre, les monstres marins, ou la luxuriance de la végétation nous appariassent très proches de nous. On imagine qu'un Guillermo del Toro, membre du jury à Cannes cette année, a dû être séduit par ce parti-pris esthétique. D'autant qu'il s'accompagne inversement d'une luxuriance des décors et des costumes – manière pour le cinéaste de donner une texture physique et quasi-palpable à ces contes qui mêlent le grotesque et le sublime, la laideur et la beauté, le fantastique et le trivial. D'où de véritables tableaux qui rappellent picturalement aussi bien le baroque d'un Peter Greenaway que les natures mortes d'un Rembrandt.

Préoccupations contemporaines

Enfin, et ce n'est pas la moindre de ses qualités, plutôt qu'illustrer sagement des contes d'une époque reculée, Matteo Garrone a choisi ceux qui lui permettait d'être au plus près des préoccupations du moment : le diktat de la beauté, le recours à la chirurgie esthétique, le désir d'enfanter à tout prix, la peur de la vieillesse. Ce qui donne lieu notamment à une étonnante interprétation de madame Pinault, Salma Hayek, tout en cruauté et jusqu'au boutisme maternel. Et finalement, pas si étonnant de la part d'un cinéaste qui avait précédemment stigmatisé l'horreur de la mafia au quotidien – Gomorra – ou les impasses de la célébrité – Reality.

Pourquoi l'anglais ?

Reste un bémol, et de taille : si l'on peut comprendre le souci du cinéaste à vouloir toucher un très vaste public international, on peut regretter qu'il ait dû, pour ce faire, renoncer à l'italien pour l'anglais. Du coup, on perd une partie de la couleur italienne de l'écriture de Basile, au profit d'une langue internationale, certes, mais qui occulte complètement la nature originelle de ces contes fantastiques transalpins.

Travis Bickle


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