jeudi 3 décembre 2015

Body Double : "De Palma signe un adieu à Hitchcock"

En DVD et Blu-ray : Carlotta inaugure sa nouvelle collection DVD-Blu-ray avec un titre culte de Brian De Palma, Body Double. Design du coffret, restauration du master, profusion de bonus, récit du tournage en 200 pages, les amateurs du cinéaste et les cinéphiles seront comblés. A cette occasion, nous avons rencontré Laurent Vachaud, scénariste, critique, co-auteur avec Samuel Blumenfeld d’un formidable livre d’entretiens avec le réalisateur, édité chez Calmann-Lévy.




Cineblogywood : Quelle est la genèse de Body Double

Laurent Vachaud : A la base, Brian De Palma ne devait pas réaliser Body Double. Il l’avait écrit et souhaitait le produire. Il l’avait écrit avec un jeune réalisateur, Ken Wiederhorn, qui avait déjà fait un film, Eyes of the stranger. Or le studio n’a accepté de financer le film que si De Palma réalise. Il l’a donc fait un peu contraint et forcé. 

Au départ, De Palma s’était inspiré de son propre logement, un gros immeuble de 5e Avenue, qui donne sur Washington Square. A partir de son vis-à-vis, il a imaginé un stratagème visuel, qui rappellerait Fenêtre sur cour, en y intégrant une manipulation à la Vertigo, tout en voulant prendre ses distances avec le genre.

Avec le genre hitchcockien ?

Oui, il y a un côté adieu à Hitchcok. Il voulait prendre ses distances avec le genre. Et montrer qu’il ne faisait pas un film au premier degré. Il voulait refermer la parenthèse. De Palma a fait Scarface dans la foulée. Il sentait qu’il allait être catalogué. Il y avait eu une couverture de Time Magazine ou de Newsweek à la fin des années 70, intitulée The Brutalists et qui rassemblait John Millius, Paul Schrader et De Palma. Schrader et De Palma, en voyant cette couv se sont affolés à l’idée de continuer à faire des films dans le même genre et qui ont fait leur réputation. C’est pourquoi De Palma a voulu quitter le genre hitchcockien dans lequel il avait été catalogué. Cette couv a eu l’effet d’un électrochoc. 

Même s’il voulait prendre ses distances avec le genre hitchcockien, c’était également l’occasion pour lui de tourner, car il n’avait pu mener à bien ni Prince of the city, finalement tourné par Lumet, ni Act of vengeance, sur l’assassinat d’un syndicaliste, repris par John McKenzie et Charles Bronson pour la TV. Il ne voulait donc pas s’y impliquer plus que ça, mais s‘y est trouvé contraint et forcé. 

De Palma était très lucide : pour lui, c’était l’occasion de se re-faire commercialement. Il avait d’ailleurs dirigé le clip du groupe Frankie goes to Hollywood, qui apparaît dans le film. Il en fait une version trop hard, refusée par la production. MTV venait de se lancer… Le film a été accepté par De Palma aussi pour des raisons commerciales. Et il s’est dit déçu du résultat.  



Déçu, vraiment ? 

Il avait beaucoup de réserves sur le film. Il l’a entièrement tourné en Californie – c’est d’ailleurs le seul qui s’y déroule, sauf Le Dahlia noir, mais qui a été tourné en studio en Europe. De Palma déteste Los Angeles. Il y a donc une critique de LA, des faux semblants. Le film est très réussi pour ce qui est de la satire. Il y a même un petit côté frères Coen ! Mais il est vite rattrapé par son scénario, son intrigue, la nécessité de la boucler. Il n’y a plus la même jubilation dans la deuxième partie, lorsqu’arrive Melanie Griffith. Bizarrement, elle est assez drôle et mémorable dans le rôle. Mais le scénario ne lui permet pas de développer son personnage. C’est un film un peu bancal. 

Qu’est-ce qui l’intéressait dans ce projet ? Il l’a quand même écrit...

Ce qui l’intéressait, c’était le milieu du porno. Il a très longtemps fréquenté une actrice porno, une véritable star du hard, Annette Haven. Il la voulait pour le rôle de Melanie Griffith. Mais il a dû la congédier après des essais désastreux. En fait, il avait du mal à trouver des financements : avec une actrice porno, ça faisait un peu trash. Melanie Griffith n’était pas encore connue à l’époque. Elle avait fait un Abel Ferrarra et quelques petits rôles, dont un Arthur Penn, La Fugue. Ce n’était pas encore une vedette. C’est à partir de Body Double qu’elle a explosé. Au départ, il voulait également Jamie Lee Curtis, autre actrice hitchcockienne [Melanie Griffith est la fille de Tippi Hedren, interprète des Oiseaux et de Pas de printemps pour Marnie, Jamie Lee Curtis celle de Janet Leigh, qui joue dans Psychose, ndlr]. Il paraît que c’est un hasard – j’ai du mal à le croire ! C’était, paraît-il les deux seules actrices qui avaient accepté de se déshabiller pour le rôle. Il avait vu un paquet d’actrices débutantes, dont Michelle Pfeiffer, mais peu souhaitaient jouer une actrice porno. 

Mais l’intrigue à la Hitchcock dans le milieu du porno, ça coince. On retrouve dans Body Double la fascination qu’exerce Carlotta sur James Stewart dans Vertigo... Là, il espionne une femme en train de se masturber. Développer une intrigue romantique et flamboyante à partir de ce point de départ, c’est plus difficile ! D’ailleurs, la scène de l’embrassade avec un plan à 360 degrés suscitait des ricanements de la part du public. Là, De Palma s’est rendu compte qu’il s’était planté.

Pourtant, le film a connu une belle carrière !

De Palma a conscience que Body Double est un film très bien considéré en Europe. Le film a bien marché en Europe, surtout en France, seul pays où le film a été un succès. C’était la période où les Cahiers du Cinéma soutenaient De Palma, avec Jean Douchet. Cela avait commencé avec Dressed to kill. Mais son audience a explosé avec Body Double. 

La vidéo lui a apporté une seconde vie. Et Breat Easton Ellis en a fait le film préféré de son héros Patrick Bateman, dans American Psycho. Notamment, il se masturbe devant la scène où l’Indien éventre l’héroïne à la perceuse électrique ! Et il n’était pas très content de Craig Wasson, que je trouve pourtant très bon. Pour toutes ces raisons, ce n’est pas un film qu’il aime beaucoup, contrairement à Blow Out ou Dressed to kill.

Et toi ?

J’aime bien le film, mais pour moi, il vient très loin derrière Obsession, Blow Out, Dressed to kill, Carlito’s way ou Outrages. Il n’y a rien dans la réalisation que tu ne trouves pas déjà ailleurs. Il y a juste un petit côté satirique…Que l’on retrouve dans la figure de Craig Wasson, cartoonesque. 

Et pour la petite histoire, à la fin du film, un chien blanc joue un rôle capital. C’est le même chien qui jouait dans Dressé pour tuer, de Samuel Fuller !  Autre anecdote : l’origine du titre du premier film de Tarantino, Reservoir dog, vient de cette scène finale, qui se passe dans un réservoir, avec ce chien donc. Tarantino adorait De Palma à l’époque. 

Travis Bickle




BANDE-ANNONCE BODY DOUBLE from Carlotta Films on Vimeo.

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