mardi 25 octobre 2016

La Mélodie du bonheur : quintessence d’un savoir-faire perdu

En salles : Nazisme et comédie musicale font-ils bon ménage ? Oui, 1000 fois oui ! Il suffit de découvrir La Mélodie du bonheur - sans parler des Producteurs de Mel Brooks - pour s’en convaincre. Trop souvent vilipendé à tort comme une pâtisserie dégoulinante de bons sentiments, le film de Robert Wise doit être vu, et revu, avec ou sans enfants, tant il contient de niveaux de lecture et de plasticité. Occasion nous est donnée de le faire, grâce à sa réédition en salles, dans une version restaurée 4K, par un distributeur exemplaire, Lost Films. Quatre raisons de (re)découvrir ce chef-d’œuvre de 1965.


Pour Robert Wise

S’il ne fallait y aller que pour une seule raison, que ce soit celle-ci : redécouvrir l’œuvre d’un cinéaste, mal considéré, qui se révèle avec le temps un véritable artisan du cinéma – mieux, un orfèvre. Vénéré par Jean-Pierre Melville – Le Coup de l’escalier, Nous avons gagné ce soir étaient cultes pour le cinéaste français –, il fut l’assistant et monteur d’Orson Welles pour Citizen Kane et La Splendeur des Amberson. Certes, sa pléthorique filmographie est inégale. Mais elle recèle de véritables trésors : outres les deux films sus mentionnés, citons La Maison du diable, Le Jour où la terre s’arrêta, La Canonnière du Yang Tsé, Le Mystère Andromède. Et, bien sûr, West Side Story ! Pour l’anecdote, il fut le premier réalisateur à adapter au cinéma Star Trek. Et malgré sa petite réputation, il est à l’origine d’une des comédies musicales les plus toniques de son époque, Star !, avec Julie Andrews.
 
Un savoir-faire reconnu par ses pairs, qui lui valut d’empocher deux Oscars du meilleur réalisateur. Cinéaste protéiforme et qui s’attaqua à tous les genres, Robert Wise, de par la modestie de son approche, reste un cinéaste mal considéré, à l’instar d’un Richard Fleischer, qui préfère exprimer leur art à l’intérieur d’un sujet ou d’un genre, plaçant la primauté de leur œuvre dans le film plutôt que dans leurs intentions. Ce qui lui vaut, tout de même, in fine, les grâces de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon (dans l'ouvrage 50 ans de cinéma américain) !

Pour Julie Andrews et les comédiens

Embauchée alors qu’elle tournait Mary Poppins, Julie Andrews tient là le deuxième rôle mythique de sa carrière. Elle est véritablement Maria, la nurse de la famille von Trapp, qui va irradier de sa joie de vivre tous les membres de la famille, dans un contexte lourd de conséquences : l’annexion de l’Autriche par le régime nazi en 1938. Magic Nanny avant l’heure, elle rentre directement dans l’histoire du cinéma avec ses deux rôles iconiques. Rôles que Blake Edwards, et Robert Wise dans Star !, s’efforceront d’écorner pour révéler la véritable nature comique et dramatique de son interprète.
 
A ses côtés, le shakespearien Christopher Plummer (La Forêt interdite, L’Homme qui voulut être roi), auquel nous avions consacré une chroniqueapporte une densité et une consistance à un rôle qui aurait pu sombrer dans le cliché. Quant aux enfants von Trapp, ils font preuve d’une vitalité et d’une joyeuse énergie, en plus de se montrer excellents danseurs et chanteurs. A noter dans le rôle de la baronne Eleanor Parker, grande dame du cinéma hollywoodien, décédée en 2013, vue notamment chez Vincente Minnelli et Otto Preminger.
 

Pour les chansons

"Do le do il a bon dos / Ré, rayon de soleil d’or / Mi c’est la moitié d’un tout / Fa, c’est facile à chanter..." : l’air dans la tête par excellence qui ne vous quittera plus une seconde ! Imparable rengaine, qui irrigue d’ondes positives l’Autriche d’avant l’Anschluss, aux côtés d’une vingtaine d’autres lyriques qui ont fait les beaux jours de Broadway et d'ailleurs (lire notre article sur la comédie musicale interprétée par Crispin Glover, le futur George McFly). Et raviront les générations de 7 à 77 ans.
 
Pour un savoir-faire unique

Fluidité du montage, intégration parfaite des chansons à l’action, beauté et richesses des décors, pour la plupart tournés sur place à Salzbourg, soin porté à la lumière, La Mélodie du bonheur porte à incandescence le savoir-faire hollywoodien. Regardez comment Robert Wise bascule de la lumière du bonheur au crépuscule de l’Anschluss entre la première et la deuxième partie, en jouant sur les tonalités et les contrastes de lumière. Admirez la séquence d’ouverture en vue aérienne sur les Alpes autrichiennes ! Regardez comment il dépeint l’amour naissant entre le militaire et la nurse de ses enfants. Ou comment l’arrière-plan dramatique colore d’une nuance sombre ce musical aux allures trompeuses de feel good movie. Pour donner lieu à des véritables scènes de tension, que l’on doit à Ernst Lehman, scénariste de La Mort aux trousses.

Triomphe total au box office, 5 Oscars dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur, La Mélodie du bonheur arrive à un moment où le besoin de renouvellement se fait sentir à Hollywood. Et devient bien malgré lui le film repoussoir type des cinéastes du Nouvel Hollywood, archétypal du cinéma des studios. Avec le temps demeure un véritable savoir-faire qui semble s’être perdu dans les priorités et objectifs avant tout financiers des studios actuels. D’où le malentendu qui entoure le film. Venez donc entonner cette mélodie et faire démentir Bertrand Tavernier qui définissait ce chef-d’œuvre comme une «"Bondieuserie dégoulinante de bons sentiments, avec tous les ingrédients les plus éprouvés du genre pâtissier" !
 
Travis Bickle
 

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