lundi 16 janvier 2017

Le Roi de cœur : l’imagination au pouvoir

En salles, DVD et Blu-ray : 1966. Après L’Homme de Rio et Les Tribulations d’un Chinois en Chine, Philippe de Broca (découvrez notre dossier) se retrouve les mains libres pour faire ce qu’il veut. Il jette son dévolu sur Le Roi de coeur, un scénario écrit par son auteur fétiche d’alors, Daniel Boulanger, tiré d’un fait divers : un asile de fous, endossant les uniformes d’Allemands, se fait massacrer par des troupes américaines.

Réversibilité des costumes, tragique de l’illusion, autant de thèmes qui conduisent Philippe de Broca à réaliser ce Roi de cœur, œuvre protéiforme devenue culte depuis sa sortie en salles en 1967, sanctionnée par un sévère échec public en France, avant de devenir une référence aux... Etats-Unis. Quatre raisons de (re)découvrir cette pépite méconnue du génial cinéaste qui ressort en salles et  dans les bacs.

Pour son sujet hors normes
Fable anti-militariste, Le Roi de cœur constitue une apologie du rêve et de l’illusion, une ode à l’imagination, celle qui dépasse les limites de la réalité et qui permet d’effectuer les plus beaux voyages, ceux qui se font par la fenêtre. A mi-chemin entre Fellini et les Monty Python, ce film baroque unique en genre a pour cadre la guerre de 1914-1918, mais pourrait tout aussi bien se situer pendant la Seconde guerre mondiale que lors des guerres napoléoniennes. C’est dire l’ambition de cette comédie baroque aux allures de conte philosophique, à,la fois ode à l’imagination et fable anti-militariste, magnifiée par les dialogues de Daniel Boulanger, la photo de Pierre Lhomme et la musique de Georges Delerue. Au point d’être considérée par certains comme "le film le plus philosophique de Philippe de Broca (et de Daniel Boulanger)". Caractère protéiforme d’une comédie inclassable qui explique en partie son échec public aux yeux du réalisateur : "Les gens ont voulu y voir une comédie alors que c’était une tragédie", déclara Philippe de Broca dans la biographie qui lui consacrèrent Alain Garel et Jean-Pierre Zarader en 1990 chez Henri Veyrier.


Pour son casting 3 étoiles
Autour d’Alan Bates dans le rôle titre, qu'on dirait taillé sur mesure pour Jean-Paul Belmondo côté français, ou Albert Finney côté britannique, on retrouve un casting 3 étoiles : le vétéran et truculent Pierre Brasseur, qui venait de tourner avec le "cousin" de De Broca, Jean-Paul Rappeneau, La Vie de château ; les stars d’alors, le fringant Jean-Claude Brialy et la débutante et délicieuse Geneviève Bujold ; l'exubérant Michel Serrault, dans un rôle de coiffeur qui préfigure celui qui le rendra ultra-célèbre dans La Cage aux folles ; la mutine Micheline Presle, dans celui d’une dame de joie, qu’on n’avait pas vue tant à la fête dans un film français depuis Le Diable au corps (1947) ; enfin, le facétieux Julien Guiomar, dans le rôle d’un Monseigneur de carnaval, qu’on retrouvera dans L’Incorrigible. Enfin, une pléthore d’acteurs de second plan – Jacques Balutin, Marc Dudicourt – habitués du cinéaste, composent des silhouettes inoubliables, et accompagnent des caméos d’anthologie : Yves Robert, dans celui d’une baderne typique des années 14-18 ; ou Philippe de Broca lui-même, dans celui d’un jeune caporal allemand prénommé... Adolf !




Pour Philippe de Broca
Souvent réduit à sa période pré-Nouvelle vague – L’Amant de 5 jours, Un Monsieur de compagnie – ou sa période Belmondo – L’Homme de Rio, Le Magnifique, L’Incorrigible – Philippe de Broca reste un auteur de comédie sous-estimé en France. Citons Le Diable par la queue, Les Caprices de Marie, Tendre Poulet, Le Cavaleur, La Gitane, Chouans, pour mesurer à quel point il fut un véritable auteur de comédies, digne d’un Blake Edwards à la française, dont la mélancolie et le goût pour l’illusion au détriment de la facticité de la réalité lui ont permis de réaliser ces bijoux du cinéma français. Et dont Le Roi de cœur constituait jusqu’ici le secret le mieux gardé. Dernier fan en date ? Thierry Frémaux, qui écrit rétrospectivement à propos de sa liste des meilleurs films qu’il dressa en l’an 2000 : "Pas de Rappeneau, Sautet ou de Broca, parce que je devais estimer (…) que ça ne devait pas faire assez classe", in Sélection Officielle, p. 105. Et à ce propos, retrouvez notre ABCDaire Philippe de Broca ici.

Pour son destin unique en son genre
Produit par Philippe de Broca et son épouse Michelle, Le Roi de cœur est un immense échec public lors de sa sortie en France, pourtant suivant le triomphe de L’Homme de Rio et dans une moindre mesure, celui des Tribulations d'un Chinois en Chine. Totalement incompréhensible aux yeux de son réalisateur, au point qu’il songea un temps abandonner le cinéma : "Cet insuccès m’a coupé les ailes à plus long terme (…) Le sujet était génial mais je n’avais peut-être pas le génie pour le faire !". Traversant l’Atlantique, le film rencontre un tel succès inespéré qu’il devint jusqu’à la sortie de Cousin Cousine (1975), le recordman français du BO étranger aux Etats-Unis. L’histoire malheureuse de son échec en France a depuis détrompé le réalisateur. Et grâce soit rendue à L'Atelier d'images de l’avoir restauré, et augmenté de bonus et témoignages passionnants (la productrice Michelle de Broca, le directeur de la photo Pierre Lhomme). Et à d’autres, moins connus, tels le philosophe Jean-Pierre Zarader d’avoir entretenu la flamme De Broca, malgré les vicissitudes dont fut l’objet l’œuvre du cinéaste.


Travis Bickle

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