mercredi 20 septembre 2017

Faute d’amour : désespérément éblouissant

En salles : Coproduit, entre autres, par les Français Pascal Caucheteux et Vincent Maraval, le nouvel opus du cinéaste russe Andrei Zvyagintsev n’a décroché que le Prix du Jury au Festival de Cannes 2017. Et ce n’est pas faute d’amour de la part des sélectionneurs ! Sélectionné pour la 4e fois sur la Croisette, il livre, en compagnie de son scénariste désormais fétiche Oleg Negin, le récit de la disparition d’un enfant de 12 ans, alors que ses parents sont au bord du divorce, dans la Russie contemporaine. Autant le dire d’emblée : formellement éblouissant, thématiquement désespéré, Faute d'amour s’inscrit dans la lignée de ceux des grands auteurs du cinéma contemporain, de Cristian Mungiu à Nuri Bilge Ceylan. Au point de frôler par moments sa propre caricature.



Kramer contre Kramer à la russe ?
Boris et Zhenya ne s’aiment plus. Ils s‘apprêtent à refaire leur vie chacun de leur côté, et à vendre leur appartement commun. Sans se soucier apparemment de leurs fils, Alyosha, 12 ans. Qui disparaît subitement. Commence alors la quête d’un couple, dans la Russie contemporaine. Raconté comme ça, on pourrait s’attendre à un Kramer contre Kramer made in Russia. Ce serait mal connaître le cinéaste et son scénariste dialoguiste. Qui à partir de cette situation dresse un portrait implacable de la Russie contemporaine, et d’un couple en crise. On n’est pas loin de Bergman. Pour preuve, ces dialogues qui ne respirent pas la joie de vivre - Boris à son collègue de bureau : "Tu crois que la fin du monde va arriver ?", "C’est sûr !" ; ou l’héroïne, Zhenya, à son époux : "Tu m’as promis joie et bonheur, je n’ai eu que douleur et déception".

Regard aigu sur la société contemporaine
En traitant un sujet a priori plus universel (le divorce, les relations hommes-femmes), Andrei Zvyagintsev abandonne la puissance allégorique qui faisait la force du Retour, et surtout de son avant-dernier film, le puissant Leviathan. Ce qui lui permet de se pencher avec acuité sur les travers de la société contemporaine : égocentrisme à tout va – on ne compte pas les scènes où les personnages posent pour des selfies, se connectent à Facebook ou instagramment leur repas ; égoïsme d’adultes qui pensent avant tout à leur propre bonheur au détriment de leur enfant - jamais le couple n’est filmé avec leur fils ; solitude des individus, enfin – de très nombreux plans isolent les personnages filmés derrière des baies vitrées, souvent embuées. Bref, du lourd, implacable et désespéré, magnifié par une réalisation maîtrisée de bout en bout. Qui par contraste avec l’absence d’amour, alterne tonalités chaudes et froides, comme pour laisser le spectateur respirer un peu dans cet univers glaciaire et étouffant.
 


Force visuelle et intemporelle
A trop rendre solennelle sa mise en scène, Andrey Zvyagintsev frôle la caricature. Exemple : la scène de crise entre les deux parents à la morgue ; ou bien le portrait peu amène de la mère de l’héroïne, sorte de Staline en jupons, qui tombe dans la caricature. Dommage pour la tentative du cinéaste de sortir de son territoire allégorique. Comme si en épurant son récit pour le rendre davantage grand public, il perdait la force du Retour et surtout de Leviathan. Et comment ne pas percevoir une pointe de moralisme de la part du réalisateur, à l’égard de ce couple égotiste et égoïste ?

Reste un bouleversant portrait d’enfant. Et un plan d’anthologie qui de par sa simplicité – juste un recadrage, de la mère s’affairant dans la salle de bains vers son fils, caché derrière une porte – exprime toute la force du cinéma de Zvyagnistev. Visuelle et intemporelle, à l’instar de ce morceau de rubalise, blanc et rouge, figé dans l’espace et le temps, sur lequel s’ouvre et se clôt ce film.
 
Travis Bickle
 

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