vendredi 17 novembre 2017

Georges Lautner : confessions d'un tonton fonceur

A lire : Les éditions La Table Ronde ont l'excellente idée de rééditer l'ouvrage d'entretiens entre José-Louis Bocquet et le réalisateur des Tontons flingueurs. Conversations avec Georges Lautner nous donne l'occasion de découvrir un cinéaste éclipsé par ses films cultes.



L'ouvrage original, publié en 2000 aux éditions La Sirène, s'appelait Foutu Fourbi - un titre suggéré par Lautner. C'était alors un grand format bourré de photos et de documents issus de la collection privée du cinéaste. Je l'avais lu avec beaucoup de plaisir. Je me suis replongé dans les premières pages de cette nouvelle édition, toute aussi richement illustrée... et j'ai été à nouveau emporté par ces conversations, pleines d'humour et d'anecdotes.
 
Un pacha resté dans l'ombre
 
Tout commence en novembre 1999. Romancier, scénariste pour la télé et la BD (notamment le formidable roman graphique consacré à Joséphine Baker) et auteur d'une biographie sur Henri-Georges Clouzot, José-Louis Bocquet rencontre Georges Lautner, via un ami du fils du réalisateur. L'homme ne tourne plus pour le cinéma depuis l'échec de L'Inconnu dans la maison (1993), ayant réalisé ici et là quelques téléfilms. Une retraite forcée qui suit une vie bien discrète. C'est le paradoxe Lautner : Les Tontons flingueurs, Le Professionnel, Flic ou Voyou, Le Pacha, Ne nous fâchons pas, Sur la Route de Salina... sont devenus cultes alors que celui qui les a réalisés reste sous-estimé, voire méconnu. Occulté par ses films, ses acteurs (Lino Ventura, Jean-Paul Belmondo, Bernard Blier, Mireille Darc, Jean Gabin, Alain Delon...) et son dialoguiste fétiche, Michel Audiard.
 
C'est un peu de sa faute, à Lautner. Le bonhomme n'a jamais cherché la lumière. Mais après quelques hésitations, il finit par dire oui à Bocquet. Lequel va l'interroger pendant plusieurs mois, après avoir été jaugé puis accepté. Le livre relate les entretiens, qui se déroulent principalement au domicile parisien du cinéaste, mais aussi le contexte dans lequel ils se déroulent. Lautner est parfois bourru, souvent vanneur. Tranchant, aussi. Pudique, toujours. Il lui arrive d'ordonner d'éteindre l'enregistreur, de ne pas vouloir parler de certains films... ou pas au moment où le souhaite Bocquet. C'est ce qui rend le livre vivant et passionnant à lire. Le lecteur a l'impression d'être dans le salon de Lautner, avec la tasse de café fumant devant lui.
 
Un homme "d'affaires"
 
Ce qui frappe dans ces confessions, c'est que jamais Lautner ne se présente comme un cinéaste ou un auteur cher aux Cahiers du cinéma. Il ne prétend pas non plus avoir signé une "oeuvre". Et pour cause, dès le début de sa carrière en 1959, Lautner met un point d'honneur à enchaîner les films - qu'il appelle des "affaires". Avec une seule justification : faire vivre sa famille. Lautner fait des films "pour pouvoir bouffer", lâche-t-il souvent. Lorsqu'il tournait un film, il préparait le suivant. Une façon également d'éviter les passages à vide liés à d'éventuels mauvais résultats au box-office. Lautner était un fonceur.
 
D'où une filmographie foutraque, où les drames suivent aux comédies, les grosses productions aux budgets plus restreints, les bides aux immenses succès. Difficile de dégager des thématiques récurrentes ; ni Lautner, ni Bocquet ne cherchent à le faire d'ailleurs. Le cinéaste n'est pas dupe, savourant ses succès, reconnaissant ses ratages. Mais au-delà des dialogues et des comédiens, les films de Lautner plaisent parce qu'ils proposent une vision originale et une mise en scène enlevée. Lautner est un artisan dans le sens le plus noble du terme mais aussi un artiste, même s'il est trop modeste pour l'avouer.
 
 La démerde avant tout
 
Pour autant, Lautner est plus disert sur ses méthodes de travail. Sa force fut d'avoir toujours su se débrouiller avec les moyens du bord. Le système D ! Trop de contraintes (techniques et humaines) pour tourner de nuit ? Lautner et son équipe vont tourner dans des caves et souterrains dans lesquels ils accrochent de fausses plaques de rues ! La bande à Lautner, ce sont des techniciens et comédiens fidèles. Il y a Maurice Fellous, son directeur de la photographie, ou Henri Cogan, ancien catcheur devenu cascadeur puis second rôle. Tous deux sont interviewés dans le livre. Avec d'autres, ils forment une seconde famille dont il aime s'entourer de film en film. Il bosse aussi souvent avec Audiard et Blier, pères (surtout) et fils.
 
José-Louis Bocquet nous permet de découvrir un homme attachant, modeste certes mais aussi doté d'un sacré caractère et de convictions. Il lui en a fallu pour bosser avec Gabin, Delon, Belmondo et même Robert Mitchum ! S'il faut parfois le pousser à parler, Lautner a de belles histoires à raconter, sur des tournages, des stars, des producteurs et des hommes de l'ombre. Une joyeuse traversée du cinéma français de l'après-guerre.
 
Anderton
 

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