lundi 27 novembre 2017

"Un bon film d’action est un parfait moyen de révéler la virtuosité d’un cinéaste" - INTERVIEW

A lire : De Rambo à L'Arme Fatale, en passant par L'Inspecteur Harry, Piège de Cristal et Duel, les films d'action américains ont marqué notre cinéphilie comme les douilles brûlantes d'un fusil d'assaut éjectées sur les biceps tendus d'Arnold Schwarzenegger. Ce sont ces films, découverts dans les salles obscures ou grâce aux vidéo-clubs, qui ont donné à l'équipe l'idée de créer CINEBLOGYWOOD il y a onze ans de cela. Imaginez donc notre joie de lire Le cinéma d'action américain, publié aux éditions Hoëbecke. Un ouvrage passionnant et richement illustré, mis en valeur par une magnifique maquette. Nous avons posé quelques questions à son auteur, Olivier Delcroix, journaliste et rédacteur en chef du Figaroscope.




Cineblogywood : vous en parlez dans votre ouvrage mais pour nos lecteurs, quel est votre définition du film d'action ?
Olivier Delcroix : La question est pertinente. Et je n’ai jamais cessé de me la poser durant toute l’élaboration de cet ouvrage en forme d’étude encyclopédique, qui tente d’identifier l’évolution du cinéma d’action américain, de Buster Keaton jusqu’à Fast ans Furious ! Même si tout le monde se fait, de prime abord, une idée de ce à quoi peut ressembler un film d’action, il est important de distinguer un pur film d’action, d’un long-métrage qui comporte des scènes d’action. En réalité, le genre du "film d’action" est né officiellement en 1982, à l’occasion de la sortie du film Rambo, avec Sylvester Stallone. L’étiquette "Action Movie" remonte donc au début des années 80.
Mais, plus généralement, le film d’action est avant tout un long-métrage spectaculaire, à la violence stylisée, dont l’intrigue se déploie autour d’une série de séquences d’action pure, le tout soutenu par un justicier vengeur, qui fera tout pour que triomphe la justice. Quentin Tarantino a  dit, au moment de la sortie de Kill Bill en 2003 : "J’ai toujours considéré que les réalisateurs de films d’action sont les meilleurs cinéastes du monde. Si vous filmez bien l’action, vous êtes le meilleur". Je pense qu’il n’a pas tort. Un bon film d’action est un parfait moyen de révéler la virtuosité d’un cinéaste.
 
Certains films d'action américains décriés lors de leur sortie semblent avoir obtenu aujourd'hui la reconnaissance de la critique. Je pense à L'Inspecteur Harry, Rambo ou Piège de cristal. C'est également vrai pour les réalisateurs tels que John McTiernan. Comment expliquez-vous ce retournement ?
Le temps est sans doute venu pour ce genre longtemps méprisé d’accéder à une certaine forme de reconnaissance. Tout simplement parce que ces films continuent d’être visionnés par le grand public, parfois plus de trente ans après leur sortie. Le temps est finalement le meilleur critique de cinéma qui soit : il sépare naturellement le bon grain de l’ivraie, au fil des années. Seuls les films les plus marquants savent entrer au Panthéon du 7e art. Dans cette perspective, nous sommes en train de nous apercevoir que les films d’action, principalement issus de la pop culture américaine, finissent par acquérir leur lettres de noblesse, malgré le mépris et l’indifférence dans lequel ils ont été traités par les élites cinéphiles.
N’oublions pas qu’Alfred Hitchcock fut longtemps considéré comme un réalisateur commercial populaire, voire vulgaire. Et qu’il aura fallu que la génération de la Nouvelle Vague, François Truffaut en tête, s’intéresse à son œuvre, pour qu’il finisse par sortir du purgatoire. Aujourd’hui, les étudiants en cinéma l’étudie religieusement à l’université. C’est également à Hitchcock qu’on doit le modèle indépassable et la structure narrative, voire visuelle, du film d’action moderne. En 1959 quand il propose La Mort aux trousses, avec Cary Grant, il met en place tous les archétypes du cinéma d’action actuels... En cela, le grand John McTiernan, Tony Scott, Richard Donner, John Woo, James Cameron, ou encore Steven Spielberg sont les héritiers du "Maître du suspense".

Vous expliquez que le film d'action s'associe très bien au film de genre - c'est ce que vous appelez des "films-frontières". Pensez-vous qu'un film d'animation comme Les Indestructibles puisse être qualifié de film d'action ?
Le film de Brad Bird Les Indestructibles sorti en 2004 est un vrai cas d’école. Il pourrait tout à fait faire partie des "films-frontières". J’ai finalement renoncé à l’inclure dans la catégorie des films d’action pour plusieurs raisons. Le film possède une virtuosité manifeste. Brad Bird est un génie de la mise en scène d’action. Mais il s’agit avant tout d’un film de super-héros. Et surtout, d’un film d’animation. Le cinéma d’action possède dans son ADN l’idée qu’on puisse assister à une performance physique époustoufflante. Les Clint Eastwood, Steve Mc Queen, Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger et autres Bruce Willis, voire récemment Vin Diesel, Keanu Reeves ou encore Tom Cruise, font une grande partie de leurs cascades eux-mêmes. C’est cela qui définit un pur film d’action. Cette captation d’un exploit humain qui ramène aux débuts du cinématographe, quand on projetait des films dans les cirques. Il y a quelque chose de la fête foraine dans le cinéma d’action. Un barnum qui fait dresser les cheveux sur la tête... Et on n’a pas cela dès lors qu’on met en scène un dessin animé. Brad Bird fera montre de ses talents de cinéaste d’action plus tard, en 2011, lorsqu’il filmera les cascades sidérantes de Tom Cruise dans Mission : Impossible Protocole fantôme...

Pourquoi ne pas avoir intégré les films de super-héros à votre ouvrage ?
Tout d’abord parce que je venais d’écrire un ouvrage sur ce genre précis quelques années auparavant, Les Super-héros au cinéma [également aux édition Hoëbeke, NDLR].  Il me semblait que même si les films de super-héros - qui me sont si chers - pouvaient appartenir à la catégorie, ils n’y entraient pas complétement. Je crois que les films de super-héros, les "superhero movies" comme ils sont appelés aux Etats-Unis, constituent un genre à eux seuls. Ces nouveaux héros arborant des super-pouvoirs en pagaille sont un peu pour moi les héritiers des héros d’action, les fils spirituels de ces personnages taiseux, ces justiciers incarnés par Steve McQueen, Clint Eastwood ou Charles Bronson... Qui plus est, l’explosion des effets numériques a fait reculer les cascades parfois dangereuses souvent présentes dans les films d’action classiques.

Quel regard portez-vous sur les films d'action américains actuels ?
Disons qu’au début des années 2000, les films d’action perdent un peu de terrain sur le champ de bataille du blockbuster. La trilogie Matrix (1999-2003) a célébré l’avènement d’Internet et l’explosion du virtuel. Mais grâce à la démocratisation des effets spéciaux numériques, ce sont les super-héros qui ont pris l’avantage. Ce qui était compliqué, voire impossible à montrer sur grand écran, devient aisément envisageable. Du coup, le film d’action se diversifie :  on voit naître les héroïnes d’action de Kill Bill à Lara Croft... Les espions américains comme Jason Bourne ou Ethan Hunt dans Mission : Impossible prennent la lumière... Avec plus récemment les Kingsman de Matthew Vaughn...
Enfin, pour faire face à la concurrence, aussi bien que pour chercher un nouveau souffle, Hollywood met en place un nouveau style d’action, fait de surenchère et de montage frénétique. En août 2011 sur le site Press Play, l’universitaire américain Matthias Stork identifie une nouvelle tendance qu’il appelle le "cinéma du chaos" ("chaos cinema"). Le sous-titre de son article est éloquent : "Le déclin et la chute de la mise en scène de l’action au cinéma entre 2000 et 2010". Michael Bay en est le parangon.
 
Quels sont les films d'action américains qui ne vous quittent pas et que vous prenez plaisir à revoir régulièrement ?
Je ne me lasse pas de revoir la série des Inspecteur Harry, avec Clint Eastwood, mon dieu vivant, ou Bullitt de Peter Yates avec Steve McQueen. Mais j’adore aussi voir et revoir des films comme la série des John Wick, avec Keanu Reeves ou encore les films de John McTiernan. Il y a aussi un autre cinéaste américain dont j’adore revoir les films : Walter Hill. Je conseille d’ailleurs de voir ou revoir un petit bijou de film d’action nommé Driver (The Driver), sorti en 1978. Hill - qui fut d’ailleurs premier-assistant sur Bullitt - s’empare du film policier et le transforme en un envoûtant précipité de courses-poursuites nocturnes. On croise même Isabelle Adjani en vamp troublante ! Voilà un film stylisé, inventif, malheureusement tombé dans l’oubli, et qui - on le sait peu - aura inspiré à Nicolas Winding Refn et son Drive sorti en 2011, avec Ryan Gosling.
 
Un livre déjà incontournable
Fans de Stallone et Schwarzy, adorateurs de John McTiernan et Walter Hill, Le cinéma d'action américain est fait pour vous. En 192 pages, Olivier Delcroix nous propose une traversée d'un genre longtemps snobé par la critique. Précis sans être pédant, l'auteur s'intéresse aux origines de ce cinéma explosif à tous points de vue, montrant comment Buster Keaton, Harold Lloyd ou Laurel & Hardy ont défini les codes d'un format qui a toutefois su se renouveler, grâce à Alfred Hitchcok ou aux Wachowski (entre beaucoup d'autres). Si l'ouvrage n'a pas vocation à être exhaustif, il laisse peu de films de côté - mis à part ceux de Steven Seagal mais ceux de Chuck Norris et les productions Cannon sont au sommaire. Le propos est bourré d'analyses et d'anecdotes, le style alerte. En fin de chapitre, des séquences cultes sont disséquées. Quant à l'élégante maquette, elle fait la part belle aux photos grand format. Bref, un superbe ouvrage qui donne envie de (re)voir Bullitt, 48 Heures, Kill Bill et bien d'autres action movies. Vous savez quoi demander au père Noël. 

Suivez Olivier Delcroix sur Twitter : @Delcroixx
 
Anderton

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