vendredi 22 décembre 2017

Coffret Henri-Georges Clouzot : 4 pépites méconnues à redécouvrir d'urgence

En DVD : Quoi de neuf ? Clouzot, Henri-Georges de son prénom ! A l’occasion du 40e anniversaire de sa disparition, le réalisateur de Quai des Orfèves a squatté tous les écrans noirs de nos nuits blanches : rétrospective à la Cinémathèque, présentation de la version restaurée du Salaire de la Peur à Cannes Classics, réédition de tous ses films en salles, concours de courts-métrages dans des écoles de cinéma, soirées TV sur Arte et Ciné +, entre autres, publication d’ouvrages de références signés Noël Le Herpe, Chloé Folens ou Claude Gauteur, conférences, numéro spécial de la revue Eclipses, éditions vidéo des films qu’il a co-scénarisés avant de devenir réalisateur, chez Lobster. Et surtout, éditions vidéo de tous ses titres, à deux exceptions près, chez TF1 Vidéo (Clouzot L'essentiel) et aux éditions Montparnasse.


Tout a été dit, redit sur ses films les plus célèbres – pour rappel, L'Assassin habite au 21, Le Corbeau, Quaoi des Orfèvres, Le Salaire de la peur, Les Diaboliques, Le Mystère Picasso, La Vérité. Signe de sa notoriété et de son attrait grandissant : son film inachevé, L’Enfer (1964), a même eu droit en 2009 à une édition inédite due à Serge Bromberg, qui reconstitue la genèse du film à partir de stocks d’images inédites qu’il a eu l’autorisation de monter. Afin de pointer la singularité du cinéaste, on zoomera ici sur 4 pépites moins connues, restées dans les limbes et mises à l'honneur dans le coffret 12 DVD Clouzot L'Essentiel, chez TF1 Vidéo. Quatre œuvres qui à la revoyure constituent d’authentiques joyaux noirs, mal aimés ou mal perçus lors de leur sortie. Et qui avec le temps ont pris une patine typiquement clouzotienne : sarcastique, noire et désespérée.
 

 
 
Manon (1948)
Derrière cette transposition contemporaine du classique de l’Abbé Prévost, Manon Lescaut, se cache un des documents les plus noirs sur la Libération. Femmes tondues, résistants de la dernière heure, trafics en tout genre constituent la toile de fond de l’intrigue. A quoi s’ajoute une narration en flashback qui a pour cadre un navire en partance pour la Palestine, avec à son bord des migrants juifs ! Avant de s’achever de manière hallucinatoire – et hallucinante – dans un désert transfiguré par la chaleur, l’érotisme et la mort, qui annonce les expérimentations visuelles et fétichistes que le cinéaste tentera dans ses deux derniers films, L’Enfer et La Prisonnière. De mémoire de cinéphile, rarement actualité n’avait été aussi fortement intégrée à une intrigue romanesque archi-connue. Film de transition entre ses tournages en studio et ceux qu’il fera en décors réels, Manon décroche le Lion d’Or à Venise en 1949. Très belle édition Montparnasse, que l'on retrouve dans le coffret TF1 Vidéo, complétée par les témoignages de Frédéric Mercier (Transfuge), Chloé L et Noël Herpe, entre autres.
 

 
Retour à la vie (1949)
Dans ce film à sketches co-signé André Cayatte, Jean Dréville et Georges Lampin, Henri-Georges Clouzot livre en 20 minutes un condensé de son art. Clouzot for dummies, en somme. Situé au moment de la Libération, l’action de son sketch, Le Retour de Jean, se déroule dans un double huis clos, celui d’une pension et de la chambre de Louis Jouvet. Occasion pour Clouzot de composer un fabuleux portrait de silhouettes graphiques, typiques de ses seconds rôles - (Noël Roquevert en baderne, Maurice Schutz en sans grade qui salue le Maréchal sous le portrait du... général de Gaulle). On y décèle également la formidable complicité qui le liait à Louis Jouvet, qui livre là une de ses plus mémorables prestations, en personnage à la fois fort et faible, prisonnier de guerre prostré dans sa chambre et confronté à un nazi, qui y trouve refuge face à la vindicte populaire, et qui de victime de guerre se transforme en tortionnaire. Enfin, d’un point de vue esthétique, Clouzot expérimente : ici, il faudra noter l’utilisation du son, souvent amplifié, pour faire entrer l’extérieur, le monde, dans ce vase clos qu’est la chambre de Louis Jouvet, lieu de confrontation entre le bien et le mal, que Clouzot, comme dans Le Corbeau, sculpte visuellement, en s’inspirant de l’expressionnisme allemand.
 
Miquette et sa mère (1949)
Etonnante trouvaille, car il s’agit d’une comédie tirée d’une pièce à succès de la Belle époque, signée DeFlers et Caillavet. Clouzot s’en donne à cœur joie pour railler cette petite communauté de villageois, leurs travers et mesquineries, avec Louis Jouvet en véritable cabot, qui livre un énorme numéro, à la limite de la parodie. L’accompagne Danielle Delorme dans le rôle titre, de cette jeune fille de province désireuse d’embrasser la carrière de comédienne de théâtre, tandis que Bourvil fait une de ses premières et notables apparitions, dans le rôle d’Urbain, en amoureux fin de race, timide et transi, sous l’œil d’une galerie de personnages hauts en couleurs incarnés par les fidèles Noël Roquevert, Saturnin Fabre et Pierre Larquey. C’était, paraît-il, une des œuvres que la mère du cinéaste chérissait et à laquelle ce dernier a souhaité rendre hommage.


 
Les Espions (1957)
Sans conteste, c’est LE film qu’il faut redécouvrir. On connaît le mot d’Henri Jeanson à propos de ce film maudit : "Clouzot a fait Kafka dans sa culotte". Tourné après l’échec commercial du Mystère Picasso, qui suivait le double triomphe du Salaire de la peur et des Diaboliques, Les Espions est conçu pour renouer avec le public.
Tout d’abord, une histoire originale, adaptée d’un roman d’espionnage tchèque, susceptible de retenir l’attion des spectateurs : un psychiatre dont la clinique, installée en banlieue parisienne cossue, périclite, se voit proposer dans le bar avoisinant, une somme de 5 millions de francs en échange de l’hospitalisation d’un agent secret. S’ensuit une bascule dans un monde absurde, véritablement kafkaïen, à l’image du Château, que Clouzot cherchait alors à adapter au cinéma et dans lequel les personnages sont remplacés comme des pions.
Ensuite, longueur du film, casting international, sujet en prise avec le contexte de guerre froide, autant de signes qui attestaient de la volonté du cinéaste de revenir sur le devant de la scène. Las... Pourtant, Clouzot avait mis tous les atouts dans son jeu : un dispositif qui rappelait celui de ses films précédents. Un lieu clos – une clinique psychiatrique, perdue dans les bois, en région parisienne, qui rappelle la pension des Diaboliques ; des seconds rôles graphiques – des habitués – Pierre Larquey en chauffeur de taxi, Gabrielle Dorziat, Louis Seigner, Véra Clouzot, son épouse ; des nouveaux venus pour donner une touche internationale - Peter Ustinov, Otto E. Hasse, Sam Jaffe, Curt Jurgens, et surtout l’inquiétante Martita Hunt ; des trognes, moins connues, mais plus marquées – Clément Harari, Daniel Emilfork, Hubert Deschamps ; Fernand Sardou et un nouveau venu, Patrick Maurin, futur Patrick Dewaere ; un contre-emploi total pour l’acteur incarnant le psychiatre,  Gérard Séty, comédien de cabaret, imitateur, très célèbre à l’époque, tellement échaudé par cette expérience qu’il attendra 35 ans avant de revenir au cinéma dans le rôle du docteur Gachet dans le Van Gogh de Maurice Pialat, autre caractère du cinéma français.
N’a-t-il pas su trouver le ton juste ? Balançant entre absurde et parodie, pessimisme et grotesque, le film déroute constamment le spectateur. Arrive-t-il trop tôt pour parodier le monde de l’espionnage, comme le feront sans vergogne Georges Lautner et Michel Audiard dans Les Barbouzes ? Et avec cynisme et délectation John Huston dans La Lettre du Kremlin ? Peter Ustinov anticipe à la fois les personnages de Francis Blanche dans le film de Lautner, et celui de George Sanders dans La Lettre du Kremlin. Peut-être. En raison de son énorme échec critique et commercial,  Les Espions laisse Clouzot sur le carreau pendant trois ans.
Il faut cependant louer ce film proliférant, inquiétant et déjanté. Cette fable désespérée et absurde sur le genre humain, tissée à partir d’une trame de film de genre. On n’est pas près d’oublier ces figures hantées par le secret et la paranoïa, reflets d’une condition humaine sous le joug de la guerre froide et de la menace atomique. Comme on n’est pas près d’oublier cette tonalité sarcastique et drôlatique, singulière et désenchantée, dont s’inspireront un Bertrand Blier ou le Paul Verhoeven de Elle.
 
Anderton

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