mardi 13 février 2018

Phantom Thread : 5 raisons de vous y précipiter

En salles : Après nous avoir quelque peu déçus et ennuyés avec ses deux précédents opus, Paul Thomas Anderson – PTA pour les intimes – revient au premier plan avec une oeuvre racée, vénéneuse et chavirante, bien plus retorse qu’il n’y paraît. Pour sa première incursion hors des Etats-Unis, le réalisateur n’a rien perdu de sa créativité, bien au contraire. Dix ans après There will be blood, il retrouve à l’occasion Daniel Day Lewis, pour son retour sur sa terre natale après 20 ans d’absence. Et pour ce qu’il a annoncé être son dernier rôle. Une chose est sûre : Phantom Thread peut prétendre d’ores et déjà intégrer Top 10 de 2018. Pour cinq raisons. 


Pour le déploiement de sa réalisation

Ni biopic classique, ni portrait de l’artiste en styliste obsessionnel et psycho-rigide, ni mélo lacrymal à la Brève rencontre, ni romcom à la Coup de foudre à Notting Hill, ni polar gothique à la Hitchcock, ni énième variation sur le mythe de Pygmalion, Phantom Thread ravira les amateurs de surprises. A vrai dire, il contient un peu de tous ces éléments. Mais PTA prend un malin plaisir à ouvrir ces pistes pour mieux les brouiller, ou mieux les digérer, afin de se concentrer sur le cœur de son sujet : les mystérieux fils qui unissent les êtres, que ce soit au travail, en couple, en famille, tissés sur du mystère, des secrets, voire de la toxicité.

Certes, il faut admirer le déploiement de sa réalisation pour restituer l’atmosphère d’une maison de couture londonienne des années 50, l’ambiance des stations balnéaires et rurales de la Grande-Bretagne ou les rituels d’une station de ski alpine en fin d’année. Mais très vite, il se concentre sur trois personnages principaux, comme pour mieux évacuer les scènes attendues en matière de reconstitution : Reynolds Woodcock, ce couturier de la haute société londonienne, homme à femmes, totalement investi dans son métier ; Cyril, sa sœur célibataire, son intendante, celle qui le connaît le mieux ; enfin, Alma, la nouvelle venue dans cet univers compassé et calfeutré, source de vie et d’ouverture. Sans oublier la présence fantomatique de la mère du couturier, personnage clé dans l’univers du créateur.

Et tel un couturier, PTA procède par assemblage et tisse des morceaux de tissus. Woodcock au travail, Woodcock à la campagne, Woodcock à la mer, Woodcock au réveillon, Woodcock à une fête de mariage, Woodcock au moment du breakfast ou du dîner, le tout enchâssé dans une narration en flashbacks, qu’on découvre peu à peu, et qui s’avère moins classique que prévu. Brio de la mise en scène et du montage qui parviennent à tisser ces morceaux, avec maestria et parfaite fluidité. 


Pour les scènes autour de la nourriture

Film chaste, malgré deux baisers fougueux et passionnés, qui contrastent avec l’univers compassé et ritualisé de la haute couture londonienne des années 50, Phantom Thread est riche en scènes autour de la nourriture : asperges, welsh rarebit, gâteaux, omelettes aux champignons, c’est fou ce qu’on y mange. En gage de substitution ? Peut-être. Qu’elles tournent au pugilat, ou à la tendresse, ces scènes ne sont dénuées ni d’humour, de suspense ou de sensualité. C’est par la nourriture que se tisse pas à pas la mystérieuse relation qui unit ce couple hors normes, entre maîtrise et soumission, responsabilisation et infantilisation, contrôle et lâcher prise, nocivité et tendresse. Et c’est bouleversant.

Pour la révélation Vicky Krieps

C’est la révélation du film. D’origine luxembourgeoise, vue notamment dans Le jeune Karl Marx, de Raoul Peck. Tel un roseau qui ne rompt pas, entêtée, butée, toujours soucieuse d’avoir le dernier mot, c’est le vrai mystère du film : d’où vient-elle ? Quelles sont ses motivations ? Alma la bien nommée est l’âme de Woodcock, celle qui va le ramener vers la vie, en passant par des chemins détournés, tortueux, voire mortels. Peu à peu, elle prend la place qu’occupaient naguère la mère du héros, puis sa sœur. Citons à cet égard l’admirable prestation de Lesley Manville, dans le rôle de Cyril, la sœur du couturier, vue dans quasiment tous les films de Mike Leigh. 

Pour Daniel Day-Lewis

A l’inverse d’Alma, on en sait beaucoup sur Reynolds Woodcock (le bien nommé "bite en bois"), jusque dans des détails infimes : comment il se taille les poils du nez et des oreilles, quel type de chaussettes il porte, comment il déguste les asperges, ou comment il travaille. Il faut louer ici la composition de Daniel Day-Lewis, qui pousse le jeu à un extrême tel qu’on perçoit sur ses doigts les égratignures provoquées par les aiguilles. Flegmatique, racé, d’une suprême élégance, il se montre également odieux, désopilant, et même extrêmement séduisant. De tous les plans, ou presque, car vu et aimé par les yeux d’Alma, DDL apporte une nouvelle preuve de la puissance de son talent. Là où il pouvait parfois dévorer le film, il faut lui savoir gré de l’avoir mise au service de la vulnérabilité de son personnage : rarement secousses infimes sur son visage n’auront paru aussi telluriques dans le for intérieur d’un personnage. Il faut le voir échanger avec fougue un baiser avec celle qui deviendra son épouse ; ou commander avec délectation les composants de son breakfast. Annoncé comme son dernier rôle, il y a quelque chose de bouleversant à la voir terminer – provisoirement ? – sa carrière sur ce rôle, peut-être le plus riche, complexe et complet de sa très imposante carrière d’acteur, auréolée de trois Oscars, record à battre – Lincoln, My Left foot, There will be blood.

Pour la musique de Jonny Greenwood

Pour sa quatrième collaboration avec le réalisateur, le guitariste de Radiohead délaisse ses expérimentations sonores pour livrer un score d’apparence plus classique, à l’image de son film. Mais elle intervient comme un personnage à part entière, contre-pied mélodique idéal au corsetage des us et coutumes de la haute couture britannique, et chorégraphie la libération progressive des sentiments. A quoi s’ajoute un remarquable travail sur le son : biscottes, taffetas, tissus, chaussures, jamais vous ne les aurez entendus aussi présents. Car c’est aussi par ce biais que s’exprime le fil ténu qui unit ce couple hors normes et monstrueux.

Travis Bickle

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