mardi 27 mars 2018

Ready Player One (2/2) : Spielberg, top of the game, top of the pop


Ready Player One a divisé la rédaction de Cineblogywood : alors que Travis Bickle a exprimé sa déception (lire sa chronique Ready Player One game over ?), Anderton a été emballé. 

En salles (le 28 mars) : Ready Player One sort mercredi sur nos écrans, précédé par des critiques élogieuses auquel j’apporte ma voix. Oui, Steven Spielberg a réalisé un blockbuster assumé, bourré d’hommages et de références à la culture pop, mais aussi traversé par des messages sur notre rapport au divertissement ou la relation souvent conflictuelle entre l’art et l’argent.



Ready Player One raconte la quête de jeunes gamers et de rebelles pour contrôler l’Oasis, le monde virtuel où chaque citoyen vient oublier la réalité d’une société paupérisée, dans laquelle les conditions de vie sont précaires. Une quête lancée par l’un des créateurs de l’Oasis et à laquelle prend également part IOI, une multinationale prête à tout pour mettre la main sur cette dimension parallèle. 

Immersion jouissive

RPO est une immersion jouissive dans un concentré de pop culture. Je n’ai pas lu le roman d’Ernest Cline, qui recèle de références aux univers du jeu vidéo et du cinéma, mais il semble bien que Steven Spielberg se soit pris au jeu et ait poussé le concept très loin. Quasiment chaque plan du film contient un clin d’œil, tantôt subtil, tantôt appuyé, à des œuvres devenues cultes. Enfin, je dis un clin d’œil mais c’est plutôt notre œil de spectateur qu’il faut empêcher de cligner pour tenter de reconnaître tous les personnages, éléments de décors ou situations que nous avons croisés sur les différents écrans de notre jeunesse. On peut présager du succès de l’édition vidéo, qui permettra aux fans de faire des arrêts sur image pour comptabiliser les hommages impossibles à tous détecter lors d’une première vision.

Jouissif donc, ce bombardement de références qui, lors de l’avant-première de la semaine passée, provoquait des exclamations et faisait lever les doigts des spectateurs vers l’écran. C’est une joie pure, oui, presque enfantine, qu’exprime le public à voir ainsi évoqués ou revisités des univers qui lui étaient et lui sont toujours précieux. Pour autant, ces caméos pop agrémentent parfois l’action, souvent l’accompagnent ou la font progresser. Spielberg ne cherche pas à nous gaver de madeleines de Proust jusqu’à l’écoeurement : au contraire, il distille des œufs de Pâques tout au long du récit, lui-même conçu comme une chasse à l’Easter Egg ultime.

Pas étonnant que les fans de jeux vidéo prennent autant leur pied : RPO est un hommage à leur passion, de la manière dont avance le récit jusqu’à la conception des personnages et des décors. Mais au-delà de la communauté des gamers, le cinéaste signe une déclaration d’amour à la pop culture, notamment celle des années 80. De quoi embuer les yeux de ma génération, dont les nounous s’appelaient Atari et VHS. Il ne s’agit pas cependant d’une vénération nostalgique mais d’une plongée dans une décennie dont les œuvres mythiques sont revisitées à l’ère du digital, de l’internet et de la réalité virtuelle.

Jouissive également, la mise en scène de Steven Spielberg. On sent bien que le cinéaste prend autant de plaisir qu’il nous en donne. Il connaît le public, sait comment le faire vibrer, comment le surprendre. Mais l’inventeur du blockbuster ne revient pas faire la leçon ; il utilise au mieux les images générées par ordinateur et la motion capture pour nous offrir plans inventifs et séquences spectaculaires. Il s’affranchit des contraintes physiques du live-action pour se réinventer avec malice. Sans cynisme. L’approche de Spielberg est finalement très premier degré : il nous fait monter à bord de son manège digne d’un parc d’attraction. Une pure joy ride destinée à nous faire rire et crier de joie.

Acteurs et scénario sont au service de la démarche du cinéaste. Le récit connaît un petit coup de mou après le premier tiers du film mais pour reprendre de plus bel, dans un déferlement d’inventions visuelles. Quant au casting mêlant jeunes talents et acteurs confirmés (Tye Sheridan, Olivia Cooke, Lena Waithe, Ben Mendelsohn, T.J. Miller, Simon Pegg, Mark Rylance), il apporte une fraîcheur bienvenue, en raccord total avec le propos.

Réflexions et éléments d’analyse : à lire après avoir vu le film

J’ajouterai enfin que certes, Steven Spielberg n’a pas cherché à développer le contexte de l’histoire, laissant sans réponses tout un tas de questions, notamment pourquoi le monde se retrouve dans un tel état. Mon analyse est qu’il n’a pas voulu s’appesantir sur une situation que le spectateur n’a aucun mal à comprendre. Crises économiques, sociales, écologiques… on connaît déjà les germes de ce qui pourrait provoquer cet effondrement de la civilisation.


Au risque de m’attirer les foudres des spécialistes, je vois dans Ready Player One un film pascalien ! Le film illustre en effet les travaux de Blaise Pascal sur le divertissement, dans lequel l’homme se perd pour échapper à sa condition. Soyons futiles pour oublier la mort… Le Blaise avait anticipé l’Oasis dès le XVIIe siècle. Philippe de Broca a construit sa filmo sur cette thématique, comme nous l’a expliqué le philosophe Jean-Pierre Zarader. Et je dois dire que ça me met en joie de voir Spielberg marcher sur les traces du cinéaste français, dont il appréciait beaucoup L’Homme de Rio (lire notre article).

A sa première apparition, la ressemblance du héros, Wade Owen Watts aka Parzival, interprété par Tye Sheridan, avec Steven Spielberg est en effet frappante. Mêmes cheveux noirs bouclés, mêmes lunettes carrées, même dégaine un peu gauche… D’ailleurs, on découvre WOW au début du film, qui descend de son appartement, en haut d’un « immeuble » constitué d’un empilement de caravanes/algecos où chaque habitant vit son autre vie dans l’Oasis. Ce plan séquence descendant nous le montre passer d’un niveau à un autre, via des escaliers ou des barres verticales… dans le sens inverse d’un personnage de jeu vidéo type Donkey Kong, qui, lui, tentait de grimper les niveaux en évitant les tonneaux lancés par le primate géant. Tout est dit dès ce premier plan. Comment prétendre que Spielberg a été paresseux dans sa mise en scène ?




On pourrait aussi, comme on le lit ici ou là, retrouver le cinéaste dans d’autres personnages : Halliday (Mark Rylance), le fondateur de l’Oasis, entièrement tourné vers une approche ludique de son art ; et Nolan Sorrento (Ben Mendelsohn), le CEO d’un empire uniquement tourné vers le profit. Sorrento pourrait aussi incarner les patrons des Gafa, dont les activités quasi-monopolistiques mettent en danger l’accès du peuple aux nouvelles technologies et aux services qu’elles ont suscités. Personnellement, je vois plus dans l’affrontement entre Halliday et Sorrento une illustration de l’opposition entre d’une part, des créateurs libres et voulant rester maîtres de leur art ; et de l’autre, les financiers qui dirigent l’industrie du divertissement. Halliday est moins une représentation de Spielberg que de George Lucas : même inventivité, même intransigeance – Halliday étant un peu plus ouvert à son public que ne l’était le créateur de Star Wars (lire notre chronique de la biographie consacré à Lucas). Le Spielberg d’aujourd’hui serait certainement Ogden Morrow, le partenaire d’Halliday, son ami. Celui qui a su garder la tête sur les épaules et concilier art et business. Sans jamais oublier celui pour qui il crée ses univers merveilleux : le public.


Anderton

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